Nicolas Bacri peut s'enorgueillir de revisiter un genre tombé en quasi désuétude, la cantate. Sa démarche suit de peu celle de Philippe Fénelon, renouvelant l'approche du madrigal (remarquable enregistrement de 1998). En fait de cantate chorale moderne, Bacri bâtit une atypique musique sacrée, transfrontalière, atemporelle - ancrée dans le XX° siècle : révision fugitive de certains choeurs de Roger Ducasse, Duruflé, voire Jehan Alain. Plus surprenant, il jette un regard sur les polyphonies visionnaires de Couperin et les motets de Delalande (écouter son Triptyque mystique, pour choeur mixte a capella, plages 19 à 21). Artiste prolifique, ce musicien né en 1961 est l'auteur d'un foisonnant corpus riche de quelques quatre-vingts opus. Six symphonies, des pièces pour violoncelle ou hautbois - un de ses instruments de prédilection comme en témoigne le Notturno Op.74, aux volutes stellaires. Sans compter une quinzaine d'oeuvres concertantes, de la musique de chambre, au sein de laquelle des quatuors.
Les cantates réunies dans ce double album choc ont été composées entre 1993 et 2002. Le style de Bacri défie les classifications, les repères et les époques. Créateur libre, indépendant, il déroule un langage puissamment original, néo ou post-tonal, accessible - sans accuser la moindre tiédeur consensuelle, régressive. Un lyrisme pur, proche parfois de Jean-Louis Florentz ; tour à tour minimaliste ou fluctuant. Si sa première période trahit une écriture volontiers atonale, il réfute tout dogme esthétique, toute con-ception scolastique de l'art musical. Il pourrait faire sienne la phrase du poète Tristan Tzara : "je sais que je porte la mélodie en moi et n'en ai pas peur ". Citons Bacri lui-même : il faut s'attacher à "examiner les possibilités de renouer avec la pensée symphonique tonale élargie." Ce qu'illustre parfaitement l'actuel enregistrement.

Ce n'est pas d'ailleurs un hasard si des voix de mezzos aux graves opu-lents, proches de l'alto habitent ces cantates ésotériques. Entre autres, Sylvie Althaparro est éblouissante sur les plans de la technique, de la projection, du de contrôle du souffle. Son timbre irisé est pourtant soumis à rude épreuve, en prise à d'immenses psalmodies incantatoires, sus-pendues - en lévitation -, qu'elle vient littéralement cueillir. Il s'agit d'une partition métaphysique détachée des contingences matérielles, qui tient de l'expérience mystique et du pè lerinage initiatique. Ces Leçons de Lumière dissimulent de virtuoses poèmes symphoniques cosmiques. Ainsi, la cantate Vitae abdicatio se partage-t-elle en deux fragments introspectifs ; l'un est dominé par la voix, le second (Lux Aeterna) est un magnifique thrène alla Hindemith. En outre, chaque partition s'enchâsse naturellement dans la suivante, pour construire une arche sonore d'une ferme unité ! À l'issue du cycle des trois cantates de l'Opus 33, on a l'impression d'avoir entendu un oratorio énigmatique. Ces vitraux phosphorescents égalent l'intensité dramatique des Lamentations de Jérémie d'Ernst Krenek. Exemplaire, l'investissement de Xavier Delette, à la tête de la phalange basque - l'Orchestre et le Choeur de Bayonne.

Nicolas Bacri ★ Cantates ★ 2 Disques L'Empreinte Digitale ED 13170
Crédits iconographiques : L'Empreinte Digitale - Nicolas Bacri (né en 1961) - L'Adour à Bayonne, Pays Basque ★ Copyrights non disponibles ★ Article publié initialement sur Anaclase.com