
Force est de reconnaître que Mignon n’a pas eu droit, dans cette production de l'Opéra Comique, aux égards qu'il méritait. Une mise en scène indigente d'abord : personnages raides comme la justice face à la fosse, mouvements collectifs de sous-préfecture. Ensuite, des éléments de décor mistouflards et poussiéreux, du ballet des chaises en bois brut de l'ouverture à la toile peinte chloroformée de l'ultime tableau. Enfin, et c’est toute la clé du problème : un choix de la version d’origine "opéra comique", avec ses inévitables dialogues parlés cassant le rythme de l’action, chef dirigeant face au public, et happy end obligé. Certes, ce parti-pris de la tradition et de l’authenticité est parfaitement justifiable. Il reflète peut-être la vraie nature de l’ouvrage et le replace à l’époque de sa création, en 1866. Or, aujourd’hui cette esthétique semble datée et boursouflée.
Quelle platitude même, pour qui a joui à Toulouse en 2001 de la version "grand opéra" nantie de somptueux récitatifs chantés, miraculeux ariosi enchâssés dans l’impétueux flot musical, écrits de la main du compositeur ! Illuminée par un quatuor vocal de rêve (Graham, Kaufmann, Massis et Vernhes), la représentation vous laissait ressortir tout à la fois galvanisé, enflammé, bouleversé. Surtout après le final tragique... La mezzo texane était géniale dans son incarnation d’asexué ambivalent fragile et tendre - "ni fille, ni garçon" pour paraphraser Jarno - en quête de son passé, de son identité et de sa patrie. Avant de connaître l’ivresse de la métamorphose ("Je connais un pauvre enfant de bohème").

Rien à redire de Blandine Staskiewicz (Frédérick), Christophe Mortagne (Laërte) et Frédéric Goncalves (Jarno), mieux que corrects dans leurs demi-caractères. Rien de rédhibitoire non plus dans la direction du maestro François Xavier Roth. Cependant, elle manque de délicatesse à l'abord des nuances mélancoliques et diaprées qui ont tant contribué à la postérité de cette musique ; tandis qu'elle souligne plus que de raison ce qu'il y demeure de clinquant et grandiloquent. À l'arrivée, c'est bien sûr une relative déception. Suggérons à l’Opéra Comique et à son partenaire le Palazzetto Bru Zane de poursuivre leur réhabilitation d'Ambroise Thomas, avec le Songe d’une nuit d'été - ou la si rare Cour de Célimène (enregistrée récemment chez "Opera Rara").
18 avril 2010 - Paris, Opéra Comique ★ Ambroise Thomas (1811-1896) : Mignon ★ Livret de Barbier et Carré d'après Goethe (1866), mis en scène par Jean Louis Benoît ★ Avec Marie Lenormand, Ismael Jordi, Malia Bendi Merad, Nicolas Cavallier, Blandine Staskiewicz, Christophe Mortagne, Frédéric Goncalves, Laurent Delvert ★ Choeur de chambre Accentus, Orchestre Philharmonique de Radio France, direction : François Xavier Roth ★ En partenariat avec le Palazzetto Bru Zane, Centre de Musique Romantique Française
Crédits iconographiques : Marie Lenormand - Ambroise Thomas © Théâtre de l'Opéra Comique, Elisabeth Carecchio