samedi 17 avril 2010

❛L’île des morts, ou le dernier jour d’un condamné❜


Nombreux sont les compositeurs ayant traité la thématique carcérale : Beethoven, Janacek, Dallapiccola entre autres. Au tour de l’Americain Philip Glass (né en1937) d’écrire en 2000, d’après Dans la colonie pénitentiaire de Kafka, un opéra de chambre d’une efficacité dramatique redoutable. Une heure vingt de musique. Un récit abrupt, asphyxiant et âpre narre la surréaliste confrontation  - laquelle vire de plus en plus à l’affrontement  - entre les deux uniques protagonistes.

Un  civil anonyme,  étrange observateur (dont on ignore l’identité) visite une île mystérieuse (laquelle ? on l’ignore également). Elle abrite une terrifiante colonie pénitentiaire sous le commandement d’un officier à moitié fêlé, genre Clint Eastwood dans Le maitre de Guerre. Ce dernier se vante d’avoir mis au point un magnifique instrument de torture raffiné, sophistiqué, destiné à exécuter les prisonniers. Ce lieu totalitaire, dantesque, hors du temps , des lois humaines et terrestres bafoue ostensiblement les droits de l’homme, détruit physiquement et psychiquement les condamnés à mort. Ce pourrait être Guantanamo, Abou Ghraïb, Alcatraz ou encore la sinistre prison turque de Midnight Express. Aucun espoir, aucune rédemption ne sont possibles, seulement le chaos, le néant : une antichambre de l’enfer.

Passant de manière saisissante de l’ombre à la lumière, Glass a opté pour le petit comité du quintette à cordes, ici celui de l’Opéra National de Lyon. Ce dernier déroule une partition magnifique, luxuriante, azurée -  inondée de mélodies mélancoliques, tendres et emplies d’humanité. A cet instrumentarium original est dévolu un lyrisme pur, détonant, authentique, en un mot compassionnel, qui rend la tension insoutenable. Peu importe alors  de savoir si cette musique, juste de ton et accessible, est minimaliste, répétitive, néo- tonale : ce sont autant  de cases étroites dans lesquelles la bien-pensance condescendante se plait à classer l’esthétique de l’auteur d’Einstein on the Beach ! Ici, on a plutôt affaire à du maximalisme, mâtiné de couleurs post-brahmsiennes.

Le mérite en revient évidemment aux artistes réunis sur le plateau de l’Athénée, parfaitement en situation : en premier lieu, le  ténor Michael Smallwood, visiteur au timbre mordoré, lumineux et élégiaque. On louangera également le baryton-basse Stephen Owen, sorte d’Alberich malfaisant et à l’émission percutante , inoubliable dans sa performance d’impitoyable bourreau grotesque et fantasque. Sans oublier la maîtrise d'ouvrage fine mais endurante de Philippe Forget.

À mentionner, une idée de génie de la mise en scène : l’apparition au tout début du spectacle des musiciens en toge de juge - formant par là-même un sinistre tribunal noir - avant d’arborer de non moins inquiétantes tenues militaires de garde-chiourme ! En choisissant un  tel effectif chambriste , une structure fermée,  en lieu et place du grand orchestre symphonique, le compositeur a  magistralement atteint son but : décrire un univers claustral, concentrationnaire. Philip Glass aurait-il écrit là son Wozzeck ?

 ConcertClassic.com propose une vidéo d'extraits de ce spectacle ICI

10 avril 2010 - Paris, Théâtre de l'Athénée Louis Jouvet ★ Dans la colonie pénitentiaire, opéra de chambre mis en musique par Philip Glass sur un livret de Rudolph Wurlitzer d'après Franz Kafka (2000),  mise en scène de Richard Brunel ★ Coproduction : Athénée, Opéra de Lyon et Opéra de Rouen ★ Chant : Stephen Owen, Michael Smallwood ★ Figuration : Nicolas Henault, Mathieu Morin Lebot, Gérald Robert Tissot ★ Quintette à cordes de l'Opéra National de Lyon,  direction musicale : Philippe Forget

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❛frontispice : La sonate pour flûte & piano © Hubert © www.licencephoto.com